Mgr Hilarion : « Je redoute de penser à ce qui se passerait si l’autocéphalie était accordée aux schismatiques »

Dans une interview à l’Agence grecque Romfea, le métropolite de Volokolamsk Hilarion, président du Département des affaires extérieures du Patriarcat de Moscou, a abordé différents points, dont celui de l’autocéphalie de l’Église orthodoxe d’Ukraine, que nous avons traduit ci-dessous.

– Il y a quelques jours, le Patriarcat œcuménique a accepté d’examiner la question de l’octroi de l’autocéphalie en Ukraine. Comment l’Église russe voit-elle cette décision ?
– Avec perplexité. Ni S.S. le patriarche Cyrille, pas même le métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine Onuphre n’ont été informés de la décision qui a été prise. Le communiqué publié souligne que le Synode « a reçu la demande concernant l’octroi de l’autocéphalie émanant de personnalités ecclésiastiques et politiques, représentant de nombreux millions d’Ukrainiens orthodoxes ». Selon les statistiques officielles, l’Église orthodoxe canonique d’Ukraine réunit en son sein plus de 12.000 paroisses sur tout le territoire de l’Ukraine. C’est-à-dire deux fois plus que les deux ramifications schismatiques en Ukraine. La situation véritable de la vie spirituelle dans l’Église canonique d’Ukraine et dans la structure schismatique d’Ukraine ressort clairement d’après les nombres, par exemple, des moines et moniales. Aujourd’hui, l’Église orthodoxe canonique d’Ukraine compte près de 5000 moines et moniales, tandis que le soi-disant « Patriarcat de Kiev », un peu moins de 200, et la prétendue « Église autocéphale » n’a que 15 moines et moniales dans 12 monastères. Les cas ne sont pas rares lorsque la presse se réfère à des éléments provenant de sondages payés par certains sponsors. Mais les nombres qui y sont mentionnés ne supportent pas la comparaison avec ceux que nous constatons de nos propres yeux et qui sont aisément contrôlables. En réalité, des millions de chrétiens orthodoxes d’Ukraine soutiennent notre Église et cela est clairement manifesté par les grandes processions organisées par l’Église canonique sur l’ensemble du territoire ukrainien, auxquelles, sur une base annuelle, participent des centaines de milliers de chrétiens en prière. Pourquoi nos frères de Constantinople ont-ils ignoré l’opinion de ces millions de chrétiens fidèles ? L’octroi de l’autocéphalie, contre la volonté de l’Église canonique, à un schisme issu de celle-ci, n’a pas d’avenir. Cela ne mènera pas l’Orthodoxie à l’unité, mais à l’approfondissement des différends déjà existants et à la plus grande déstabilisation de la société ukrainienne.

– Mais pour qu’une telle décision soit prise, l’accord de toutes les Églises n’est-il pas nécessaire ? Le patriarcat œcuménique n’a-t-il pas le droit d’aller vers l’octroi de l’autocéphalie, comme cela s’est précisément produit avec l’autocéphalie de la Russie ?
– Le patriarche de Constantinople Jérémie II, lors de sa visite à Moscou en 1589, a annoncé l’octroi à l’Église russe du rang patriarcal. À cette époque, il était impossible de communiquer rapidement avec les autres patriarches orientaux. Cependant, les autres primats n’acceptèrent point cet acte unilatéral auquel ils n’avaient pas participé. En 1590 à nouveau, lorsqu’au Concile de Constantinople, les patriarches de Constantinople Jérémie, d’Antioche Joachim et de Jérusalem Sophrone ont ratifé la constitution du Patriarcat en Russie, cela n’a pas été reconnu de façon panorthodoxe, en raison de la contestation de la décision prise par le Synode du patriarche d’Alexandrie, St Mélèce Pigas. Et ce n’est que lorsque les quatre patriarches orientaux, qui représentaient alors le plérôme orthodoxe, ont entériné lors d’un nouveau Concile à Constantinople en 1593, le rang patriarcal de l’Église de Russie, que celui-ci a acquis une validité indubitable. Le mode de proclamation d’une nouvelle Église autocéphale, a été examiné de façon répétée et approfondie dans le cadre de la préparation du Saint et Grand Concile et cette fois l’unanimité des Églises orthodoxes locales a été atteinte pour ce qui concerne la façon de l’octroyer. De même a été convenue la procédure qui prévoyait la participation de toutes les parties : de l’Église Mère, qui prendrait l’initiative de l’octroi de l’autocéphalie à l’une de ses parties, et du Patriarcat de Constantinople, qui coordonnerait la recherche d’unanimité des Églises locales et, finalement, de toutes les Églises orthodoxes autocéphales, sans le consentement coordonné desquelles, l’octroi de l’autocéphalie à une entité ecclésiastique resterait irréalisable. Nous avons réussi à nous mettre d’accord sur tout, hormis les problèmes techniques se rapportant au protocole, comme l’ordre des signatures. Maintenant, que voyons-nous dans la situation présente des choses ? La procédure de la proclamation de l’autocéphalie a commencé non pas par l’approbation de l’Église mère, c’est-à-dire ici de l’Église orthodoxe russe, et aussi en contournant l’Église orthodoxe d’Ukraine canonique. Il en résulte que le cheminement de l’Orthodoxie en Ukraine est décidé par des schismatiques, les autorités de l’État séculier et les parlementaires, dont beaucoup sont uniates ou représentent d’autres religions et confessions. Une telle autocéphalie serait-elle validée par les signatures des Primats des Églises orthodoxes ?

– Éminence, il se peut que la question de l’autocéphalie soit en relation avec les prochaines élections présidentielles en Ukraine ? Pensez-vous que le président Porochenko utilise ce que nous appelons la question sensible de la foi ?
– Cette entreprise, c’est-à-dire la formation d’une « Église locale unique » en Ukraine, a pour leaders les autorités au pouvoir, les groupes schismatiques et les gréco-catholiques [uniates, ndt]. Les politiciens voient cela comme une occasion pour un début réussi de la campagne électorale sur un fond de crise économique aggravée dans le pays. Les schismatiques qui, avec le soutien des autorités, continuent maintenant encore à s’emparer des édifices de l’Église orthodoxe canonique d’Ukraine, ont un besoin vital d’un fondement canonique et du soutien de n’importe quelle Église canonique orthodoxe. Pour les uniates, l’unification des schismatiques et l’acquisition par eux d’une existence canonique au sein de l’Orthodoxie est l’un des plans de soumission de l’Orthodoxie à Rome. La première demande du parlement ukrainien au patriarche Bartholomée en 2016 avait pour origine les parlementaires dont la majorité étaient uniates. La présente entreprise est également mise en œuvre avec le soutien des personnalités de l’État et des députés qui appartiennent à l’Église uniate. La direction de l’Église gréco-catholique d’Ukraine déclare clairement que la reconnaissance des confessions anti-canoniques comme canoniques par le Patriarcat de Constantinople est le premier pas, qui sera suivi par « l’unification de toutes les Églises qui proviennent du Baptême de Vladimir ». De quoi s’agit-il ? Peut-être les uniates veulent-ils l’autocéphalie ? Non, ils veulent que les orthodoxes « réintègrent Rome ». Le slogan des partisans de l’autocéphalie est fondamentalement mensonger et anti-ecclésial : « L’État indépendant doit disposer d’une Église indépendante ». En suivant une telle logique, nous devons diviser aussi les autres Églises locales historiques : Alexandrie, Antioche, Jérusalem, Serbie etc., en de nombreux segments, conformément aux pays auxquels elles sont soumises. Le fait suivant est cependant intéressant : aucun politicien ukrainien n’a émis d’objection à ce que les uniates ou catholiques-romains ukrainiens restent unis à Rome : pourquoi alors l’unité de l’Église orthodoxe d’Ukraine avec le Patriarcat de Moscou provoque-t-elle une réaction aussi délirante ?

– Que sera « le jour du lendemain » dans le cas de l’octroi de l’autocéphalie en Ukraine ? Aurons-nous une nouvelle « guerre froide » ?
Nous savons que déjà depuis plusieurs années, la communion eucharistique a cessé entre les deux anciens Patriarcats d’Antioche et de Jérusalem, et ce malgré les tentatives du Patriarcat de Constantinople et des autres Églises orthodoxes locales, ce problème douloureux n’est pas réglé. Soyez attentif au fait que nous parlons ici d’une seule paroisse dans la capitale du Qatar, Doha, avec des paroissiens qui dans le meilleur des cas sont au nombre d’une centaine. Je redoute de penser à ce qui se passera, si le scenario d’octroi de l’autocéphalie aux schismatiques ukrainiens devient réalité. Nous devons comprendre qu’il y aura différentes extensions au problème qui sera créé, car il ne s’agira pas seulement d’une paroisse, comme c’est le cas au Qatar, mais de plus 12.000 paroisses de notre Église. La division au sein de l’Orthodoxie universelle qui sera la conséquence inévitable de ce mouvement erroné, pourrait être comparée avec la division entre Orient et Occident en 1054. Nous enterrerons l’unité de l’Orthodoxie si quelque chose de tel se produit. Pour cette raison, à titre personnel, je ne veux même pas essayer d’imaginer de quelconque façon « quel sera le jour du lendemain ».Je veux cependant croire que la position coordonnée des Églises orthodoxes locales, qu’elles ont à maintes reprises exprimées dans le passé, maintiendront à l’avenir également, l’Orthodoxie universelle loin de la division. Cette position coordonnée ramènera, tôt ou tard, les schismatiques dans le sein de l’Église. C’est ce que je crois et prie pour que cela se produise !